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"Nous sommes des résistants et nous sommes plus nombreux que vous le pensez": Lilian Thuram dans le Var pour poursuivre son combat contre le racisme

"Nous sommes des résistants et nous sommes plus nombreux que vous le pensez": Lilian Thuram dans le Var pour poursuivre son combat contre le racisme
L’ancien footballeur reste très populaire – auprès de toutes les générations – ce qui donne d’autant plus de portée au message d’égalité et de fraternité qu’il porte. Photo A.B.J..

Combattre un délit, la chose pourrait paraître entendue. Quoi de plus naturel que d’énoncer qu’un cambriolage, une agression sexuelle, un abus de bien social ou une escroquerie, c’est mal.

L’expression du racisme, elle aussi, est un délit, et pour autant, la combattre ne semble pas si évident. Parce qu’il a lui-même été marqué dans sa chair, Lilian Thuram parcourt l’hexagone depuis quasiment deux décennies, pour combattre le racisme.

"On ne naît pas noir, on le devient", déclare ainsi l’ancien footballeur, en empruntant la formule de Simone de Beauvoir. "Pour ma part je le suis devenu à 9 ans quand, arrivé de Guadeloupe, je me suis fait insulter de "sale noir" par un camarade de ma classe de CM2". Un électrochoc pour le petit garçon, "qui m’a poussé, au-delà de la colère, à me questionner depuis, sans cesse, sur le sujet."

Une réflexion qui l’a conduit à créer sa "Fondation pour l’éducation contre le racisme", et à publier de nombreux ouvrages sur le sujet.

Il était ainsi mercredi soir à Salernes, en partenariat avec la librairie Caractères libres, et le tiers-lieu Terra Verde, tous deux basés à Aups, pour rencontrer la population. Une séance empreinte de bienveillance et d’un recul nécessaire, malgré l’émotion. Morceaux choisis.

Éducation

Interrogé sur la notion d’éducation, qu’il a tenu à mentionner dans sa fondation, il indique: "Dire bonsoir, dire merci, c’est ma mère qui me l’a appris, et ça s’appelle l’éducation. On ne s’en rend pas bien compte soi-même, mais nous recevons aussi un conditionnement. Le racisme, le sexisme, l’homophobie, etc... sont transmis par ce biais, et les hiérarchies de préjugés, du type "je suis supérieur à lui parce que je suis blanc et lui noir" ou "je suis supérieur à elle parce que je suis un garçon, et elle une fille" naissent là. Il faut du courage pour en prendre conscience, et l’affronter."

À quel âge devient-on blanc?

Posée au public, la question n’a pas trouvé de réponse. "C’est normal, vous ne vous êtes jamais posé la question car selon une construction historique, être blanc, c’est la normalité. Mais quand on subit le racisme pour la première fois, c’est souvent un traumatisme".

Lilian Thuram rappelait aussi "l’existence du privilège blanc, encore aujourd’hui. Certains ne peuvent le comprendre, ils ont leurs problèmes aussi. Mais ce serait pire, s’ils étaient noirs ou maghrébins. C’est la même chose pour le privilège masculin. "

Fatalité et silence

Lorsqu’enfant, Lilian Thuram explique à sa mère être victime de racisme, "elle m’a répondu, comme souvent en pareil cas: "c’est comme ça, les gens sont racistes, ils ne vont pas changer". Sous-entendu: c’est une fatalité. Mais non, en grandissant, j’ai appris l’histoire, je me suis documenté, et j’ai appris que le racisme n’est pas naturel, c’est une construction historique. Comme tout problème, quand vous le comprenez, ça se passe mieux. Un enfant qui trouve les mots sera moins violent qu’un enfant qui ne les trouve pas. Comprendre m’a aidé à me libérer de ma colère. Quand quelqu’un profère une insulte raciste contre moi – et j’y suis encore confronté aujourd’hui, quand les gens ne me reconnaissent pas – ça dit quelque chose de lui, mais pas de moi".

"Monter des pauvres contre d’autres pauvres"

"Le racisme une est construction historique, idéologique, politique et économique de certains puissants, pour pouvoir mieux exploiter: c’est l’histoire de l’esclavage, de la colonisation, de la conquête de l’Amérique, etc... Mais cela se fait toujours au profit de certains puissants, et pas de toute la population. C’est un mécanisme que l’on peut observer aujourd’hui encore: on monte des pauvres contre d’autres pauvres, et nombreux sont ceux qui tombent facilement dans ce piège".

Lilian Thuram rappelait la citation célèbre de Voltaire contre l’esclavage: "C’est à ce prix que vous mangez du sucre. Cette citation est toujours actuelle: à quel prix, aujourd’hui nous, possédons-nous un téléphone portable?"

Les racistes

"Les gens racistes y gagnent quelque chose, facilement, rapidement, de très rapide et de très puissant. Ils expriment: je ne suis pas comme eux, je suis supérieur à eux", estime Lilian Thuram.

"Ces gens-là ont un problème, et il faut le dire. L’un des plus grands dangers serait de légitimer le racisme, de se montrer compréhensif. Non, ce n’est pas normal, et il faut intervenir à chaque fois".

Le retournement

Évoquant l’exemple de footballeurs victimes d’insultes racistes, le champion du monde pointait: "S’ils s’énervent, ce sont eux qui se prennent un carton rouge. S’ils veulent quitter la pelouse, les coéquipiers le retiennent, lui disent de se calmer. Comme si le problème venait de lui… Quand on est victime de racisme et qu’on s’en défend, avec émotion et colère, cela se retourne souvent contre la victime. Les femmes aussi connaissent bien ce mécanisme, on va dire d’elle « oh la la, elle est hystérique celle-là…" Pour autant, encore une fois, il est essentiel de dire que ce n’est pas normal!"

La politique

Pourquoi avoir décliné l’invitation du président Sarkozy de devenir ministre de la Diversité? "Pour moi, la politique, ce n’est pas de l’opportunisme, c’est avant tout prendre soin des autres. Par exemple: il faut prendre soin des migrants aujourd’hui, non pas parce qu’ils sont des migrants, mais simplement car ils sont, comme nous, des êtres humains. À quel moment on oublie ça? Chacun de nous doit pouvoir espérer améliorer sa vie (...). La politique est devenue un show, à base de punchlines. Ce n’est pas important si ce qu’on dit est vrai, l’important c’est que ça marche. "

L’espoir

À des membres du public faisant part de leur désarroi et de leur lassitude face à une parole raciste décomplexée, en terres varoises en particulier, Lilian Thuram s’est voulu combatif.

"Il ne faut pas oublier qu’avant, c’était pire. Mon grand-père est né seulement 60 ans après l’abolition de l’esclavage, ce n’est pas la préhistoire. Quand ma mère est née, la ségrégation régnait aux Etats-Unis. Et quand je suis né, l’Apartheid était en place en Afrique du Sud… Ceux qui se radicalisent aujourd’hui dans le racisme le font par peur, car ils sentent que le monde change. Ils ont peur de perdre une certaine supériorité. Mais face à cela, nous sommes des résistants. On n’a pas d’autre choix que de résister… Et si ça peut vous rassurer: nous sommes plus nombreux que vous le pensez. Et à la fin, la résistance gagne toujours! "

La soirée s’est achevée après de chaleureux bains de foule, et une séance de dédicaces de ses ouvrages. Tandis que le champion du monde était attendu ce jeudi pour porter son message à des collégiens d’Aups et de Barjols.

Var-Matin

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